« Ne vivons plus comme des esclaves »

C’est le nom d’un documentaire tourné par Yannis Youlountas « en faisant tourner la molette de [son] appareil photo en mode vidéo », pour nous montrer un état des lieux de la Grèce actuelle, en prise avec la crise et la montée du fascisme, mais aussi en pleine réflexion sur une nouvelle conception de la société, plus humaine, plus éthique.

Il ne faut pas croire pour autant que ce film est de mauvaise qualité : il est extrêmement bien filmé, bien pensé, bien réalisé. Aidé d’une très belle bande-son, de la chaleur et de la sincérité des témoignages recueillis, il vous embarque durant 89min sans le moindre problème.

Nous y découvrons un état des lieux de la situation actuelle : chômage, précarité, expulsion, augmentation impressionnante de sans abris, privatisation de l’eau (51% au moment du tournage) avec la menace de coupure que cela entraîne, tentative de rachat par Eldorado Gold d’une partie de la Grèce du Nord (en Chalcidique, lieu de naissance d’Aristote) et la destruction de la nature environnante pour y implanter une mine d’or… « Nous subissons un appauvrissement particulièrement violent » dénonce Yannis, un jeune Grec « qui n’a pas d’autre but que de produire une main d’œuvre très bon marché. Rien d’autre. Rien de plus. » Et Dora, chimiste et professeur de chimie, nous met en garde « Vraiment, il y a trois ans, nous n’imaginions pas avoir des élèves qui ont faim, des familles qui vivent dans des caves, des amis qui ont perdus leurs emplois : ingénieurs, avocats, médecins, pas seulement les classes laborieuses. […] oui, regarde bien : attention! Attention! Ces choses là arrivent brutalement, aussi vite qu’une tempête. »

Image issue du documentaire "Ne vivons plus comme des esclaves" de Y. Youlountas

Image issue du documentaire « Ne vivons plus comme des esclaves » de Y. Youlountas

Face à cela, les Grecs font preuve d’une extrême lucidité, mais aussi d’une farouche volonté d’aller de l’avant. « Malgré le caractère tragique de la crise, celle-ci nous permet de voir les problèmes qui ont émergés. » nous confie Nodas « Des problèmes très sérieux que le voile d’avant-crise couvrait. Exactement comme aucun Français, à l’époque de la Révolution française, ne pouvait imaginer vivre sans roi […], de même la question de la libération sociale sera le produit imprévisible de notre imagination dans la phase préparatoire qui commence. » Vangelis va un peu plus loin dans la réflexion : « Le problème n’est-il pas à la base celui d’un système fondé sur la violence ? […] C’est avec violence qu’il expulse quelqu’un de son domicile et le jette dans la rue, avec violence qu’il le jette de son emploi, avec violence qu’il le sanctionne à l’école… Il est basé sur la violence. »

Image issue du documentaire "Ne vivons plus comme des esclaves" de Y. Youlountas

Image issue du documentaire « Ne vivons plus comme des esclaves » de Y. Youlountas

S’ensuit un second état des lieux : celui d’impressionnantes et enthousiasmantes initiatives collectives et autogérées, de partage, de gratuité, de travail respectueux de l’homme et de la nature. Ponctué de citation de penseurs reconnus comme tels ou pas encore, tel Léonidas, un jeune manifestant blessé, nous assistons à ce renouveau que la Grèce, berceau de la démocratie, tente de construire. Nous visitons des lieux de rencontres et d’échanges de savoirs, de tremplin à la création de son propre emploi, de cuisine et de partage gratuit dans la rue, accompagné de chants. Une véritable économie « parallèle », sociale et solidaire, une « utopie » se met en place : lieux d’échanges de vêtements, librairie, imprimerie, épicerie, restaurants, espaces de jeux pour enfants, dispensaires de soins gratuits, usine, le tout autogérés. Bien sûr, tout n’est pas rose et la plupart redoute la montée du fascisme « un loup qui revêt le manteau du mouton […] pour dévorer le moment venu le troupeau » , comme le définit Alexandros. Mais l’essentiel est de ne pas baisser les bras et d’accueillir toutes les bonnes volontés, avec ou sans papiers. Car comme le dit Jorge : « Je ne serais pleinement libre que quand nous serons enfin tous libres. »

Image issue du documentaire "Ne vivons plus comme des esclaves" de Y. Youlountas

Image issue du documentaire « Ne vivons plus comme des esclaves » de Y. Youlountas

Au-delà de toute idéologie politique (la plupart des interviewés se disent anarchistes, mais comme pour toute voie politique ou religieuse, les pensées des gens sont rarement complètement en accord avec l’idéologie complète et réelle, mais plus avec l’idée qu’ils s’en font), ce documentaire nous offre à mon sens une superbe base de réflexion philosophique sur le système et la société dans laquelle nous vivons, et une belle incitation à « se bouger le cul » (comme le dit si bien Alexandros), car de belles pensées ne servent à rien si elles ne sont pas manifestées.

Je vous invite donc à aller regarder ce documentaire, visible gratuitement et en totalité sur le net, ou encore mieux, à assister à une des projections/débats organisés un peu partout en France.

Je conclurai par les paroles de Vangelis : « Je ne sais pas ce qu’est la vraie vie. Tout ce que je sais, c’est ce qu’elle n’est pas […]. Donc, si on commence par refuser ce qu’elle n’est pas, on a plus de chances de se rapprocher de ce qu’elle est. »

 

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